Pour un nouveau système alimentaire : du prix bas au juste échange

Pour un nouveau système alimentaire : du prix bas au juste échange
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Pour un nouveau système alimentaire : du prix bas au juste échange 

Un système mondialisé à bout de souffle 

Pendant des décennies, le système alimentaire mondial s’est construit sur une promesse simple : produire plus pour nourrir le monde à moindre coût.


Sous couvert de « libre-échange » et de « compétitivité », les politiques agricoles et commerciales internationales ont encouragé la spécialisation des territoires, la standardisation des produits et la concentration des filières.

Résultat : des exploitations toujours plus grandes, des marges toujours plus faibles, et une dépendance accrue aux intrants chimiques, aux énergies fossiles et aux marchés mondiaux.

Ce modèle a pu sembler efficace un temps. Il a permis de remplir les rayons des supermarchés, d’exporter à bas prix et de maintenir artificiellement un « pouvoir d’achat » alimentaire. Mais derrière l’abondance apparente, les failles se creusent : la planète s’épuise, les paysans disparaissent, et les inégalités s’aggravent.

La logique du prix bas a fini par tout dévoyer. 


Elle a mis en concurrence des agricultures aux conditions incomparables : celles du Nord, mécanisées et subventionnées, face à celles du Sud, familiales et vulnérables. Elle a dévalorisé le travail paysan au profit d’une industrie agroalimentaire mondialisée, obsédée par les volumes, les marges et la croissance. Et elle a transformé l’alimentation – acte vital, culturel, social – en simple marchandise interchangeable.

Pendant ce temps, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) continue de défendre des échanges « aussi libres que possible », sans se soucier des limites écologiques ni des droits fondamentaux. Elle a même condamné des pays qui tentaient de protéger leurs productions locales ou leur souveraineté alimentaire. Ainsi, quand la Colombie a voulu taxer les frites surgelées importées pour sauver sa filière de pomme de terre, c’est l’Europe qui a obtenu gain de cause devant l’OMC — au mépris du climat, des emplois et du bon sens.

Cette logique absurde se retrouve jusque dans nos assiettes.

En France, les producteurs ne touchent plus que 7 euros sur 100 dépensés par les consommateurs.
Le reste se perd dans la transformation, la logistique, la distribution et la publicité — près de 5,5 milliards d’euros par an investis pour nous faire acheter toujours plus de produits trop gras, trop sucrés, trop salés.
Pendant ce temps, 8 millions de Français n’ont pas accès à une alimentation de qualité, et 18 % des agriculteurs vivent sous le seuil de pauvreté.

Les coûts cachés d’un système qui abîme tout


Derrière l’illusion du « tout à bas prix », se cache une réalité bien plus lourde : notre système alimentaire coûte cher à la société et à la planète.
Il abîme les sols, l’eau, la santé, la biodiversité… et il appauvrit celles et ceux qui nourrissent vraiment le pays.

 

Le rapport "L’injuste prix de notre alimentation" co-réalisé par le Secours CatholiqueCIVAMSolidarité Paysans et la Fédération Française des Diabétiques en 2024 dresse un constat sans appel :

 

« Chaque passage en caisse ne dit rien de l’argent public engagé pour dépolluer l’eau, soigner les maladies liées à la malbouffe ou compenser la précarité des agriculteurs. »

 

Des coûts environnementaux colossaux


Le modèle agricole dominant repose sur des intrants chimiques, des monocultures intensives et des transports de longue distance.
Résultat : les nappes phréatiques sont polluées, les sols s’appauvrissent, la biodiversité s’effondre.


En France, 437 captages d’eau potable ont déjà été fermés à cause des nitrates et pesticides.


Les oiseaux des champs ont chuté de 30 % en quinze ans, et les pollinisateurs disparaissent à un rythme alarmant.

 

Ces dégâts ne sont pas des “externalités”, mais bien des coûts réels : près de 3,4 milliards d’euros de dépenses publiques annuelles pour dépolluer, réparer, compenser.


Et ce chiffre ne couvre qu’une partie des impacts : la dégradation des sols ou l’épuisement des ressources naturelles sont encore « inestimables ».

 

Des impacts sociaux et humains invisibilisés


Le productivisme a aussi fracturé le tissu social. D’un côté, des paysans étranglés par les prix bas, les dettes et les exigences de rendement ; de l’autre, des millions de citoyens contraints de se tourner vers l’aide alimentaire.
Deux faces d’un même système : celui qui produit la pauvreté dans les campagnes comme dans les villes.

 

Aujourd’hui, 18 % des agriculteurs vivent sous le seuil de pauvreté, et le taux de suicide chez eux est deux fois supérieur à la moyenne nationale.
Dans le même temps, 8 millions de Français vivent en insécurité alimentaire, dont 2 millions doivent recourir à l’aide pour se nourrir. Beaucoup témoignent d’un profond sentiment de honte ou d’injustice :

 

« Je prends ce qu’on me donne et je fais au mieux. C’est humiliant à mon âge, mais je n’ai pas le choix », confie Danielle, bénéficiaire d’une aide alimentaire.

Ces blessures sociales, ces renoncements quotidiens, ne figurent pas dans les bilans comptables, mais ils sapent la cohésion et la démocratie. La “crise alimentaire” est aussi une crise du sens et de la dignité.

Des coûts sanitaires en pleine explosion


Nos assiettes reflètent aussi l’échec sanitaire du modèle industriel.

Trop de sucre, trop de gras, trop de sel : les maladies métaboliques explosent.
En vingt ans, le nombre de diabétiques a augmenté de 160 %, et l’obésité est désormais reconnue comme une épidémie mondiale par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS).


Les dépenses de santé liées à la mauvaise alimentation représentent plus de 12 milliards d’euros par an.


Pendant ce temps, l’industrie agroalimentaire dépense 1 000 fois plus en publicité que l’État en prévention nutritionnelle.

 

Autrement dit, nous finançons notre propre empoisonnement : d’un côté par nos achats, de l’autre par nos impôts.

 

Une facture collective : 67 milliards d’euros pour maintenir le système


En additionnant les aides publiques au système agricole (48 milliards d’euros) et les dépenses pour réparer ses dégâts (19 milliards), le total atteint 67 milliards d’euros par an.
C’est plus que le budget de l’Éducation nationale.

 

Et pourtant, malgré cet argent colossal, le système ne nourrit plus correctement la population ni ne protège ceux qui la nourrissent.


Les soutiens publics profitent encore majoritairement aux modèles productivistes et exportateurs, tandis que les initiatives locales, agroécologiques ou solidaires ne reçoivent qu’une part marginale — environ 6 % des aides.

 

« D’une main, la collectivité répare, de l’autre, elle entretient la cause même des dégâts. »

 

Des solutions pour un nouveau contrat social de l'alimentation 


Face à ce constat d’un système à bout de souffle, il est urgent de changer de cap. Il ne s'agit pas de corriger les erreurs de notre système actuel, mais bien d’opérer un changement en profondeur en redéfinissant ce que nous attendons vraiment de notre alimentation : nourrir les être humains, préserver les écosystèmes, et assurer la dignité de celles et ceux qui produisent. 

 

Cette transformation ne se fera pas uniquement dans les champs ou dans les supermarchés. Elle suppose de repenser les règles du jeu, de redistribuer la valeur, et de rendre aux territoires leur pouvoir de décision.

 

Revoir les règles du commerce mondial : du libre échange au juste échange


José Tissier le rappelle: nous avons besoin d’un nouvel ordre commercial mondial, fondé non plus sur la compétition mais sur la coopération.

Le commerce équitable, né de cette vision, n’est plus un marché de niche : c’est une boussole pour l’avenir.

 

Son principe est simple : rémunérer justement les producteurs, protéger l'environnement, garantir la transparence et la solidarité entre acteurs économiques. “Le commerce équitable détient toutes les clés pour refondre un ordre commercial où le juste échange l’emporte sur le libre échange”. 

 

L’idée d’une “exception alimentaire”, sur le modèle de l’exception culturelle, mérite d’être portée politiquement : elle permettrait de soustraire l’alimentation aux seules lois du marché et d’y intégrer des critères sociaux, environnementaux et sanitaires. L’Europe, en lien avec ses partenaires des autres régions du monde, pourrait ouvrir la voie à une zone d’échanges équitables et solidaires, où les produits respecteraient les droits humains et les limites planétaires.

 

Reconstruire des systèmes alimentaires de proximité


À l’échelle nationale et locale, des solutions concrètes existent déjà. Elles sont portées par des agriculteurs, associations, collectivités et citoyens qui inventent des modèles cohérents et humains.

Le rapport L’injuste prix de notre alimentation appelle à bâtir un nouveau contrat social alimentaire, articulé autour de quatre axes majeurs :

  1. Démocratiser les décisions alimentaires : ouvrir les chambres d’agriculture, les conseils économiques et les politiques publiques à la société civile et aux citoyens.
    Créer des maisons de l’alimentation durable où se croisent producteur·rices, habitant·es, cuisinier·ères et acteurs sociaux.
  2. Garantir le droit à l’alimentation pour tous : inscrire ce droit dans la loi et soutenir la création de caisses alimentaires communes, permettant à chacun d’accéder à une alimentation de qualité, sans stigmatisation.
  3. Soutenir la transition agroécologique : réorienter les aides publiques vers les pratiques durables — polyculture, élevage à taille humaine, agroforesterie, semences paysannes. Aider à l’installation et à la transmission de fermes à taille humaine.
  4. Réguler les importations : conditionner l’entrée sur le marché européen au respect des normes sociales et environnementales, pour ne plus opposer éthique et compétitivité.


Ces mesures ne sont pas utopiques. Elles reposent sur une conviction simple : notre alimentation est un bien commun, pas une marchandise comme les autres.

 

Donner du pouvoir aux territoires


Les collectivités locales ont un rôle clé à jouer. En devenant « autorités organisatrices de l’alimentation », elles peuvent soutenir les filières locales, favoriser les circuits courts, valoriser la restauration collective durable et accompagner les plus fragiles.

 

C’est déjà le cas dans plusieurs territoires en France, où des projets alimentaires territoriaux (PAT) réunissent agriculteurs, associations, élus et citoyens pour relocaliser l’alimentation. Ces initiatives montrent qu’il est possible de concilier emploi, santé publique, écologie et justice sociale.

Normandie Équitable s’inscrit pleinement dans ce mouvement. 


Depuis des années, nous rassemblons des acteurs engagés pour faire vivre des alternatives concrètes : produire, transformer, consommer et échanger autrement, dans le respect du vivant et de l’humain.

 

Face à ces défis, Normandie Équitable agit sur le terrain pour participer à la construction de ce nouveau système alimentaire, plus juste et plus durable et ce en actionnant trois leviers : la promotion des initiatives écoresponsables, l’éducation populaire, et le changement du rapport de force !

 

Avec la Fresque du commerce mondialisé, nous proposons un temps collectif pour comprendre les mécanismes du commerce global et ses coûts cachés, et imaginer ensemble des alternatives solidaires.

 

Et grâce au Parcours citoyen “Alimentation”, chacun peut explorer concrètement son rapport à la consommation, mesurer les impacts de ses choix et découvrir les solutions locales pour manger mieux et autrement.

 

Ces deux outils complémentaires permettent d’ouvrir les yeux, de débattre et surtout d’agir — individuellement et collectivement — pour faire émerger, ici en Normandie, un système alimentaire plus juste et robuste.