La robustesse, un antidote au culte de la performance

La robustesse, un antidote au culte de la performance
L'équipe Normandie Equitable
Audrey Sergent, coprésidente chez Normandie Équitable

Dans un monde fluctuant  marqué par la raréfaction des ressources, il va falloir être adaptable et non vouloir s’adapter. Notre salut tiendra à notre capacité à “dérailler” du système actuel. Bonne nouvelle, les systèmes changent par les marges, le cœur étant aveugle. 


Retour sur la conférence autour de la notion de “Robustesse” d’Olivier Hamant du 14 octobre dernier organisée par TELED CCI et l’Université de Rouen, et à laquelle nous avons eu la chance de participer à ses côtés, et avec beaucoup d’actrices et d’acteurs à la marge !

 

La performance, une obsolescence programmée ! 

 

La performance, ce culte de l’ère industrielle, cette quasi religion, nous mène droit le mur d’un techno-solutionnisme qui nous sauverait, comme par magie, des maux qu’il a lui-même créés. 


Nous faisons face aujourd’hui à un burnout planétaire, et c’est un piège systémique : l'anthropocène nous engage à avoir le contrôle sur le monde qui nous entoure; pour répondre à ce besoin de contrôle nous optimisons notre performance; cette optimisation accélère la dissipation des ressources; cette perte de ressources provoque des ruptures et des crises; plus nous faisons face à des crises plus le besoin de contrôle est fort… et la boucle du burn out est bouclée ! 


Si la performance est le véhicule idéal  pour atteindre un objectif donné sur l’autoroute d’un monde stable, c’est le pire moyen sur les chemins sinueux de la fluctuation. L’optimisation maximise la performance dans un contexte donné que l’on maîtrise. En supprimant les redondances, la lenteur et la diversité, elle crée des systèmes rigides, incapables de s’adapter à l’imprévu. La performance, c’est le monde d’hier, et malgré les résistances des chantres de la performance, elle est déjà obsolète. 

 

Dans ce cas, la Robustesse n’est pas un luxe, mais un antidote.

 

S’inspirer du vivant pour créer une culture de la robustesse

Il ne serait pas possible de traduire en un post la richesse des échanges de cette soirée, mais s’il y a une chose que nous retenons, c’est l’enjeu d’inverser les mots (maux?) de l’économie dans un monde fluctuant. Puisque que c’est un enjeu culturel, voyons l’innovation, la rentabilité et la simplification sous le prisme de la robustesse : 

 

1. L’innovation : non pas rupture, mais adaptation : « Dans le vivant, innover, ce n’est pas rompre, c’est s’ajuster. »

  • Vision classique : L’innovation est souvent synonyme de rupture technologique, de nouveauté à tout prix, de croissance. Elle vise à optimiser ou à remplacer ce qui existe.
  • Vision robuste : Dans un monde fluctuant, le vrai moteur d’innovation, c’est la capacité d’adaptation, pas la nouveauté en soi.Le vivant innove par essais, erreurs et hybridations, un processus lent et collectif qui valorise les “variations” plutôt que les “révolutions”. En somme, l’innovation robuste n’est pas celle qui crée du neuf, mais celle qui renforce la capacité à faire face à l’imprévu.

 

2. La rentabilité : non pas rendement, mais soutenabilité:  « Le vivant n’est pas rentable, il est viable. »

 

  • Vision classique : La rentabilité mesure la performance à court terme : produire plus vite, avec moins de ressources. Elle élimine ce qui n’apporte pas de profit immédiat.
  • Vision robuste : Dans un monde instable, cette logique mène à la fragilité. Le vivant, lui, investit dans la redondance, la lenteur, et la coopération. Une économie inspirée du vivant doit viser la viabilité (tenir dans la durée) plutôt que la rentabilité (maximiser à court terme). En somme, être “rentable” dans un monde fluctuant, c’est préserver les conditions qui permettent encore de vivre et de s’adapter demain.

3. La simplification : non pas réduction, mais intelligibilité « Simplifier, ce n’est pas réduire : c’est rendre compréhensible sans détruire la complexité. »

  • Vision classique : La simplification est souvent réductionniste : on découpe, on isole, on élimine le “superflu”. Elle cherche la clarté immédiate, au risque de nier la complexité du réel.
  • Vision robuste : Dans un monde fluctuant, la complexité est une ressource. Le vivant “simplifie” en trouvant des règles d’organisation claires (par ex. les motifs fractals du choux romanesco et du flocon de neige), sans jamais supprimer la diversité. Il invite à une simplification intelligente, qui respecte la richesse des interactions. En somme, la simplification robuste, c’est rendre lisible sans appauvrir.

 

TELED une méthode opérationnelle de la robustesse

Arnaud Crétot et Loïc Pérochon nous ont parlé de Tâches Essentielles Lorsque l’Essentiel est Disponible (TELED). Cette méthode vise à adapter les usages d’énergie à sa disponibilité réelle, plutôt qu’à chercher une consommation continue et “optimisée” en toutes circonstances. L’idée centrale est de faire les tâches les plus consommatrices d’énergie quand l’énergie est abondante, par exemple lors d’une forte production solaire ou éolienne, plutôt que d’essayer de maintenir une performance constante. Cette logique inverse la vision classique, on ne rend pas l’énergie disponible à tout moment pour les usages, mais on fait évoluer les usages selon l’énergie disponible.

En quoi c’est robuste ? La méthode ne cherche pas la performance maximale, mais la capacité à tenir dans un contexte fluctuant. L’enjeu est de faire face aux imprévus en intégrant la variabilité de l’énergie dans l’organisation des usages, elle évite la dépendance à un système rigide.  Cette méthode applicable aussi bien à une entreprise qu’à une collectivité ou un atelier, et sans technologie lourde.

De la robustesse dans la joie chez Normandie Equitable 

Audrey Sergent, notre coprésidente, à pris la parole aux côtés de Enercoop NormandieTriticumle réseau Low Tech Normand et les Vagabond.es de l'énergie pour illustrer la robustesse. Selon Olivier Hamant, la robustesse, c’est la capacité à durer dans un monde incertain. Chez Normandie Équitable la robustesse se compose de quatre ingrédients majeurs : la diversité, la coopération, la redondance et la sobriété. 

 

La diversité d’abord. Notre réseau rassemble des artisans, des producteurs bio, des associations, des commerçants, des magasins vrac, des restaurateurs, des citoyens engagés… Bref, une mosaïque d’acteurs aux activités très différentes. Comme dans un écosystème, la variété des espèces protège le tout. 

 

Ensuite, la redondance. Dans une logique classique d’efficacité, on chercherait à éliminer les doublons. Mais dans la nature, et pour Olivier Hamant, la redondance est vitale : elle permet de tenir quand un maillon cède. Par exemple, dans notre organisation, nous avons trois animateurs, animatrices territoriales. Ce sont des experts en généralité. C’est à dire qu’ils et elles sont sont garant d’un cadre pour que coopèrent des brasseurs avec un fournisseurs d’énergie citoyenne mais ils et elles ne connaissent pas sur le bout des doigts la chaîne de production d’une brasserie ni la filière du solaire. Chacun et chacune sait animer l’ensemble de nos outils pédagogiques.

 

Troisième ingrédient : la coopération. La robustesse naît des liens, pas de la compétition. Là encore, Normandie Équitable en est une belle illustration. Le réseau ne cherche pas à “performer” seul, mais à mutualiser, à tisser des solidarités entre ses membres. On y échange des savoirs, on construit des projets communs, on porte une voix collective sur le territoire. Ce n’est pas une juxtaposition d’acteurs, c’est un organisme vivant.

 

Quatrième ingrédient : la sobriété. Un organisme qui pousse trop vite casse. Une économie qui cherche l’optimisation permanente s’expose à l’effondrement au moindre grain de sable. Normandie Équitable promeut au contraire une économie sobre : réemploi des contenants, circuits courts, commerce équitable, limitation des transports inutiles, juste rémunération des producteurs. Une économie qui vise la durée plutôt que la croissance infinie.

 

Normandie Équitable incarne ces principes : un réseau d’acteurs variés qui coopèrent, mutualisent et s’ancrent localement. En favorisant les circuits courts, le réemploi et le commerce équitable, il construit une économie patiente et résiliente.

 

Chez Normandie Équitable, la robustesse a le goût du lien et du partage. Elle se tisse dans les marchés, les sourires, les coups de main. C’est une robustesse joyeuse, vivante, celle qui fait tenir le monde par la coopération plutôt que par la compétition.